L'ALLUMEUR DE RÉVERBERES
Réflexions pour mieux se positionner face aux défis du quotidien
Des feuillets proposés par 
Christophe Élie

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Feuillet 44                                                                                                  

IM-0025

...Une partie de nous est invincible au mal... 
Une poignée de plus pour s'en sortir

Alors nous changerons notre regard sur le malheur
et, malgré la souffrance, nous chercherons la merveille
Boris Cyrulnik

Un témoignage rare

Je sors a peine d'un livre qui m'a tenu en haleine, le deuxieme écrit par Tran Lam :
Entre l'ombre et la lumiere.
Survivante de la guerre civile au Cambodge, elle se retrouve réfugiée au Québec a l'âge de 15 ans, exploitée et violentée par une tutrice qui fait tout pour tuer sa confiance en elle-meme. Peu a peu, on la voit qui rassemble ses forces, conquiert son autonomie piece par piece, et finit par reprendre confiance − au point que douze ans plus tard elle pouvait me communiquer cette réflexion qui m'a remué tres loin, m'a fait l'effet d'une fete intérieure :  

Je crois que tous les etres humains sont blessés, meme s'ils n'ont pas vécu la guerre ou d'autres atrocités, ce qui n'est pas nécessaire pour que le coeur se plonge dans la souffrance. Ainsi fait l'etre, l'etre fragile certes, mais habité par une Force. Je crois que malgré toutes les atrocités que les ''méchants'' peuvent faire subir a leurs semblables, ils ne pourront JAMAIS atteindre le lieu sur de notre etre profond. Et je crois que c'est a cause de cela que meme face a la mort, on est toujours plus fort et on réussit a surmonter toujours. Une partie de nous est invincible au mal et le mal n'aura JAMAIS le dernier mot.

Cette réflexion m'a fait revenir en arriere dans certaines pages de L'ALLUMEUR DE RÉVERBERES, ou j'ai cherché a partager ce que j'appelle mes croyances-pivots : des poignées décisives dans mon expérience ou celle d'autres personnes, auxquelles nous pouvons nous agripper pour reprendre pied quand des blessures émotives nous ont jeté par terre, ou encore quand nous avons le sentiment de vivre a moitié. Il y a eu par exemple cette conviction que la Source de la vie, capable de créer des galaxies, me connaît par mon nom et ne me laissera jamais tomber. Et puis, jumelée a cette conviction, il y a eu celle que je suis par nature digne d'etre aimé, peu importe ce qui m'arrivera ou ce que j'en ferai, pour la seule raison que je fais partie de la vie (Feuillet 4).  Voila que Tran Lam nomme une troisieme conviction, tout aussi décisive a mes yeux, qui s'est mise a faire évidence au fil de ses luttes pour survivre émotivement jour apres jour: la croyance que nous serons toujours plus fort que ce qui nous arrive.


Une croyance, ça vit dans notre tete, c'est peu palpable. Ça devient pourtant une lampe de poche qui nous éclaire dans la nuit, quand il fait peur, quand il fait seul, quand un mystérieux sursaut d'énergie nous fait nous dépasser plutôt que de nous écraser. Ainsi, un naufragé accroché a son épave sans boire depuis deux jours et qui sait que que tout l'équipage a péri, n'a pas les memes possibilités de survie s'il croit que la terre n'est pas loin ou qu'un bateau va finir par passer. Un grimpeur de l'Everest, qui avance dans le brouillard avec les pieds et les mains a moitié gelés, n'a pas la meme probabilité de survie s'il croit qu'il finira par trouver le campement.

Des cas rares ? Ceux-ci présentent un enjeu vital, c'est vrai. Mais pour ce qui est de la dynamique qu'ils mettent en jeu, vous et moi vivons quelque chose de ça a tous les jours : devant une contrariété, votre capacité a rebondir est-elle la meme si vous interprétez que tout le monde vous en veut, ou si vous prenez ce qui vous arrive comme un défi a déjouer, une occasion d'apprendre quelque chose sur vous-meme... bref comme une expérience ?


A quelque part, une décision

Tran nous fait un autre cadeau par sa réflexion : elle nous dit que nous n'avons pas a nous comparer a quelque héros que ce soit pour évaluer l'importance de nos blessures du coeur, que personne n'a d'expérience qui soit plus noble ou plus modeste qu'un autre : chacun a ses chemins uniques. Toute expérience de la douleur, qu'elle soit le déces d'un etre cher ou une petite écharde plantée dans la main, réinvente le défi de nous faire trouver le mode d'emploi de la vie : comment peut-elle bien fonctionner ? qu'est-ce que je pourrais bien y faire ?...

Au fil de son expérience, Tran s'est aperçue qu'en refusant les limites, elle pouvait aller plus loin au fond d'elle-meme, qu'elle trouvait au coeur de l'indignation des ressorts étonnants, des réponses inattendues, curieusement sur mesure avec l'événement qui s'amenait. Et une chose m'a captivé a lire son histoire : c'est qu'avant d'etre convaincue qu'il y avait au fond d'elle une île abritée des tempetes, pendant longtemps elle a eu l'intuition de sa présence, et elle s'est mise a sa recherche.

Elle nous fait par la prendre conscience d'un mécanisme qui doit bien etre a la portée de tout le monde. C'est que la décision de croire a une certaine vision des choses, juste parce qu'elle nous fait du bien, juste parce qu'a l'idée que la vraie vie soit faite comme ça on se prend a vouloir embarquer sans demander de preuves, cette décision nous fait basculer dans une autre attitude, dans une autre énergie. Nous cessons de nous sentir en survie, nous passons du côté de la vie parce que nous redonnons une fois encore sa chance au bonheur. A peine avons-nous un répit sur ce qui nous a fait mal que nous recommençons a créer du nouveau. Boris Cyrulnik appelle ça la résilience **.

Cette nouvelle attitude suffit-elle a nous faire croire a l'existence de forces cosmiques bienveillances qui veillent sur nous, a nous faire nous considérer comme un enfant bien-aimé de la vie ? Hum... Il faudrait écouter les gens qui en sont arrivés la pour le savoir. Ce que je sais par mon expérience, c'est que cette disposition d'esprit libere notre attention pour croire qu'il puisse y avoir autre chose capable de faire plus de sens, une autre logique des choses que celle ou j'étais embourbé et qui ne donnait rien. Et c'est la que nous nous mettons en recherche, comme le naufragé sur le rivage, qui détache son attention de sa jambe blessée et redevient capable de scruter au loin, curieusement juste au moment ou un bateau est en vue.

Par moments, on dirait que les signes de ces possibles sont a chercher au fond de nous autant qu'a l'extérieur. Pour moi, par exemple, je me surprends toujours de constater que je peux vivre de fortes douleurs et pourtant ne pas cesser de m'émerveiller d'une neige fraîche tombée, du regard d'un enfant qui découvre ou de la tendresse que se témoigne un couple d'aînés dans le silence. D'ou nous vient, au beau milieu d'un deuil, de nous sentir bien a remercier intérieurement pour le privilege d'etre en vie, simplement ?


Par quel chemin forger nos croyances clés ?...

Comment certains arrivent-ils a se convaincre de la bienveillance de la vie malgré leurs déchirures, et d'autres pas, ou alors bien tard dans leur vie ? Le parcours de chacun est un bien grand mystere. A travers le récit de son expérience, Tran nous met sur quelques pistes qui pour elle ont tout changé.

J'ai d'abord été séduit par sa franchise avec elle-meme : Tran n'a jamais triché sur les sentiments qu'elle découvrait en elle, acceptables ou laids. C'est peut-etre ce qui lui a fait admettre qu'elle pouvait etre habitée en meme temps par le plus lumineux et par le plus sordide. Ce constat si honnete l'a préparée a une rencontre poignante avec sa tutrice, Yana, qu'elle avait perdue de vue depuis longtemps, mais dont toute la méchanceté la tenaillait encore et l'empechait de se reconstruire. Apprenant que celle-ci allait mourir, Tran a fait une longue route pour venir la rencontrer : elle voulait coute que coute comprendre pourquoi Yana avait tant pris plaisir a la faire souffrir et a la rabaisser. Yana finit par avouer qu'elle était jalouse de la mere de Tran, a laquelle elle se comparait; aussi qu'elle était jalouse de l'intelligence de Tran, quand elle la comparait a sa propre fille. Je relis avec émotion dans ma tete ce qui s'est passé alors : Tran a d'abord été cinglante avec Yana, tous les reproches y sont passés. Mais a la fin, entendant cet aveu ou Yana se laissait connaître dans ses blessures, plus loin que sa méchanceté, Tran est arrivée a lui pardonner. 

Tran nous partage d'autres clés qui ont fonctionné pour elle. Par exemple, elle a eu l'instinct de s'inventer des personnages intérieurs qui l'ont aidée a tenir bon quand c'était trop dur. Une étape décisive pour elle a été de rencontrer sur sa route des personnes qui ont cru en elle et lui on montré ce que l'amour reçu est capable de provoquer en soi, alors qu'on se sent habité par tellement de haine. Autre chose m'a frappé chez elle : dans beaucoup de situations qu'elle a racontées, on la voit décider d'etre plus forte que sa peur, avec une audace plus radicale d'une fois a l'autre, comme si elle avait découvert la un outil, mais que c'était a elle de l'aiguiser. Au total, Tran a lentement découvert qu'il lui appartenait de prendre sa vie en mains, au point qu'elle écrira une lettre bouleversante a sa mere décédée, pour lui faire son adieu de petite fille, car elle se sent maintenant une femme.

J'aimerais aussi revenir sur cette question d'instinct personnel. Tran nous fait réaliser a quel point la vie semble mettre sur notre chemin toutes sortes de situations inattendues, avec lesquelles nous pouvons tantôt nous guérir et tantôt trouver un autre chemin. Mais pour les capter il faut s'arreter intérieurement et s'écouter. C'est ainsi qu'elle a été marquée par la visite d'une église ou, face a face avec la grande croix ou Jésus était cloué, elle raconte son sentiment intérieur : une sorte de magnétisme qui ne l'a pas laissée tranquille... Elle a suivi ce sentiment, posant des questions sans relâche a propos de ce personnage dont elle ne connaissait rien puisqu'elle était bouddhiste, mais qui l'intriguait sans qu'elle sache pourquoi. En relisant son parcours, elle montre comment ses efforts pour le connaître l'ont par moments puissamment aidée a ne pas lâcher. Et on n'a pas de mal a y voir un lien avec le fait que, longtemps plus tard, elle demandera a etre baptisée.


Des hasards ou des clins d'oeil ?...

D'ou proviennent de telles intuitions ou certaines coincidences qui, apres coup, s'averent déterminantes dans notre reprise de vie ?... Chose certaine, elles semblent faire partie de nous, et elles fonctionnent puissamment pour nous guider vers nos réponses personnelles. Des enseignements autochtones affirment que si une plante nous a intoxiqué, il en pousse une autre a portée de vue qui est son antidote. La vie serait-elle faite sur ce modele ?... Pour reprendre un de nos exemples du début, qui sait si la détermination du grimpeur de montagnes a trouver le refuge coute que coute peut lui avoir donné l'intuition de contourner un nouvel obstacle par la gauche plutôt que par la droite, et c'est alors qu'il a retrouvé la piste ?...

De telles intuitions qui montent en nous proviennent-elles de notre organisme, ou de plus loin a travers lui ?...  Quand on relit le parcours de Tran Lam, on se dit que l'important n'est pas tant de pouvoir les expliquer que d'apprendre a les entendre et a s'en servir. Car l'expérience de Tran le montre avec transparence : il arrive que ça puisse changer le cours d'une vie.


Christophe Élie

 

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Édité par le site GRANDIR, QUÉBEC
www.sitegrandir.com

N'hésitez pas a reproduire nos textes, en indiquant la source.

 v2007-12-22

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