L'ALLUMEUR DE RÉVERBERES
Réflexions pour mieux se positionner face aux défis du quotidien
Des feuillets proposés par 
Christophe Élie

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Feuillet 37
Prolonger la vie, ou les raisons
de vivre ?...

Réflexion autour du suicide


Ah ! ces pauvres gens trop fragiles...

Ces jours-ci, a la une d'un journal, flash sur le suicide qui bat des records chez nous. On présente le phénomene préoccupant au Québec, tandis qu'un peu partout dans le monde, le constat se généralise : les efforts dans la prévention, depuis plusieurs années, n'ont pas porté fruit; ils auraient trop misé sur les problemes psychologiques. L'article finit sur quelques pistes d'action : inviter les médias a plus de retenue afin d'éviter la contagion, contrôler l'acces aux médicaments, et meme installer des barrieres sur les ponts...

Plusieurs, surement, quitteront l'article en se disant Ah, ces pauvres gens trop fragiles pour passer au travers de la vie... Personnellement, j'en sors troublé, indigné : comment peut-on passer a ce point a côté des vraies questions ! Dans ma tete se mettent a défiler toutes sortes d'images disparates : des jeunes en parfaite santé qui décident pourtant d'en finir, des kamikazes au Moyen-orient qui se font exploser avec leur charge de dynamite, et en moins lugubre, ces jeunes décrocheurs qui désertent nos écoles a la petite semaine. Entre décrocher de la vie et décrocher du systeme, y aurait-il des affinités ?


Une société est un champ d'ondes

Une phrase du texte a attiré mon attention : Nous sommes capables de traiter la dépression, mais pas le suicide . Tiens, tiens. Serait-ce que nous parvenons a adapter les personnes, a les rendre fonctionnelles, mais pas a leur donner le gout de vivre pour autant ? Sommes-nous passés maîtres a régler leurs problemes de carrosserie mentale, pendant que les décrocheurs de la vie essaient de nous parler du sens au voyage qu'ils ont désespéré de trouver ?

Nos raisons de vivre s'alimentent beaucoup plus que nous pourrions le croire aux grandes ondes que notre société dégage. Un entourage social qui remplace pudiquement le sens par le confort, la joie par le plaisir. Des gouvernants qui ne nous fournissent pas d'idéal, sinon celui de consommer toujours plus : c'est nécessaire a faire rouler l'économie. Une société en changement rapide, ou on ne sait plus apres quoi on court, avec le sentiment de laisser son âme derriere. Des pays en conflits ethniques, ou le sentiment d'impuissance a changer les regles du jeu devient si fort qu'on ne voit plus que sa vie a donner, pour redonner une espérance aux siens. 

Voila autant de terrains d'expérience déboussolée. Le suicide nous renvoie a la perte du sens. Et quand on creuse, on s'aperçoit que cette perte est étroitement reliée a l'oxygene que nous ne trouvons plus dans notre vivre-ensemble : dans nos relations immédiates difficiles, comme apres une peine d'amour; puis plus au fond, dans nos sentiments d'appartenance, lorsque le tissu social se relâche, ne fournit plus de défis vitalisants ou qu'il oublie ses plus vulnérables. 

C'est bien ce qu'avait mis en évidence Émile Durkheim, il y a fort longtemps déja, par son étude magistrale sur le suicide  -  elle a meme servi a établir les bases de la sociologie. Il a pu établir un lien significatif entre l'anomie  -  cette absence de normes ou leurs changements trop rapides pour la capacité des gens a les digérer  -  et les taux de suicide dans différents types de société. 

Que les plus vulnérables psychologiquement soient les plus a risque et qu'il faille les aider, fait évidence. Mais qu'aujourd'hui nous nous arretions aux problemes de personnalité pour tenter de comprendre le suicide, il y a la un probleme qui nous questionne tous.


Retrouver nos boussoles

Il y a décidément un ennemi plus perfide que tous les terrorismes externes, car il ne dit pas son nom et fait porter le blâme sur les victimes. Il est intérieur. C'est le tissu des rapports humains qui s'effiloche dans nos efforts individualistes de chercher du sens. Chacun, dans notre silence, nous nous faisons complices d'une société qui n'ose pas fournir de boussoles : des projets qui parleraient de dépassement plutôt que de compétition, des discours publics qui ne seraient pas genés d'appeler a la solidarité, des chantiers qui nous solliciteraient et nous laisseraient sur le sentiment qu'on a une prise pour rendre notre communauté humaine plus viable.

Viable... C'est de ça qu'il s'agit. Autour de nous des gens ne cessent pas de retrousser leurs manches pour revitaliser leurs écoles et leur quartier. D'autres réinventent des formules pour pallier l'anonymat des grands établissements et des grandes villes. Un nombre croissant osent affirmer publiquement et ensemble les valeurs qui les font revendiquer des changements. Tous ces gestes de reprise en main de notre aventure ensemble provoquent le sens a refaire surface. Comme les brins d'herbe au désert, apres la pluie. Ces gens la ne pensent pas au suicide, ils sont trop occupés a faire du sens.


Associer a faire du sens

On pourra sécuriser tous les ponts du monde, ceux qui veulent s'enlever la vie trouveront mille autres façons d'y arriver. La réponse durable au suicide n'est pas de ce côté, ni dans les médicaments qui vous gelent l'angoisse. 

Non. Pour communiquer l'envie de vivre, les réponses que je connais ne parlent pas de sécurité, mais d'audace. Entraîner ceux qui sont en mal de sens la ou le sens apparaît évident : j'ai vu des gens désabusées retrouver en eux la candeur, en côtoyant des enfants. J'en ai vus, épuisés sous leurs raisonnements trop logiques, lâcher prise et s'émerveiller a nouveau, une fois en silence au milieu de la nature.

Les réponses que je connais me parlent aussi de dépassement. Il vous est peut-etre arrivé, comme moi, de vivre cette magie de la vie : une personne était tentée d'en finir. Quelqu'un, au lieu de lui donner de l'aide en espérant lu éviter de regarder en bas d'un pont, lui a demandé de l'aide pour construire le pont. Il restait encore des raisons de vivre.


Christophe Élie

 

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Édité par le site GRANDIR, QUÉBEC

N'hésitez pas a reproduire nos textes, en indiquant la source.
 v2005-01-01

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